Lui, moi et le vécu... ou la difficulté de rompre en douceur
En quelques phrases et en quelques gestes, j'ai été blessé. Il ne s'en est pas rendu compte je crois. Ce n'est pas la première fois que cela arrive, mais cette fois, le temps semble s'être arrêté.
Je n'arrive plus à être heureux. Trop de désillusions, de rêves de gosse qui ne se réaliseront pas et cette pseudo vie dans notre société de consommation où seul le shopping est devenu important. Alors, je suis triste. Triste de ne pas avoir pu vivre 1/10e des merveilleuses choses que nous aurions pu vivre ensemble. Triste à mourir de ne plus que l'entre-apercevoir. Triste de le voir et de devoir, avec difficulté, dissimuler des sentiments.
Nous avons échangé des sms tout à l'heure. Il pense que je suis buté. Me dit que le bonheur "ça se travaille", "que la vie devient ce qu'on en fait". Il me parle de "mérite" et de "frustration". Il oublie un paramètre cependant : celui du vécu. Les choses seraient différentes si je pouvais réécrire mon vécu.
Chacun a sa propre histoire, des choses enfouies mais qu'il faut bien traîner à défaut de pouvoir les oublier. Les parents qui n'ont jamais accepté leur fils tel qu'il est ou bien les souvenirs atroces d'êtres humains déchiquetés dans une rue du Moyen-Orient, l'extrême pauvreté ailleurs, ces tirs de mitraillette là-bas ou encore les yeux de ces enfants affamés quelque part en Afrique. Si je pouvais réécrire mon vécu : j'y mettrais plus d'amour, moins de larmes et de sang, évidemment. Alors oui, il faudrait aller de l'avant, "avoir de la volonté", profiter des belles choses et rester optimiste malgré tout. Je n'y arrive plus. Ces dix années à aller de l'avant ne m'ont mené nulle part.
On ne vit pas dans une société du mérite. Les gens gentils ne s'en sortent pas. L'amour donné n'est pas rendu. Tout est bataille et la nature humaine est foncièrement mauvaise. Plus je vis et plus je le ressens. Comment, dans ces conditions, rester optimiste ? Comment ne pas pleurer et "voir la vie du bon côté" ?
Je lui souhaite cependant bonne chance... Je prierais presque pour que sa vie ne soit qu'un mélange de bonheur et de tendresse : parce qu'il est attendrissant, intelligent, malicieux, honnête et... optimiste. Si je pouvais réécrire mon vécu, peut-être le serais-je aussi.
"Les hommes qui passent pour être durs sont de fait beaucoup plus sensibles que ceux dont on vante la sensibilité expansive. Ils se font durs parce que leur sensibilité, étant vraie, les fait souffrir."
(Benjamin Constant)